CÈNE, ANTHROPOCÈNE : PERSPECTIVE
par Annabelle Gugnon
Le moment est venu. De quoi ? Pour quoi ? Vers quoi ? Ce sont les interrogations que font naître la nouvelle exposition de Pauline Bazignan, Momentum, où la Renaissance italienne avec l’invention de la perspective donne les clés de notre période Anthropocène. Ce mot, qui désigne l’action déterminante des humains sur la destruction de leur propre biotope, est en partie homonyme de La Cène (1495-1498) peinte par Léonard de Vinci à Milan. Pourtant la signification des deux mots est bien différente. « Cène » est la désinence d’une période géologique récente et La Cène de Leonardo vient de « cenare », dîner en italien. Mais la tapisserie d’ampleur, les quatorze nouveaux tableaux et les six sculptures de Pauline Bazignan rapprochent ces deux sens en une pensée cruciale dont elle n’a pas eu conscience au moment de les créer. Son geste pictural est une vision : « Je crois vraiment au rôle médiumnique de l’artiste », disait Marcel Duchamp*...
Avec les moyens de la peinture, Pauline Bazignan pense l’urgence pour l’humain de quitter la place de surplomb que la commensuratio (la perspective) a construite. La Renaissance a en effet installé un monde mesurable dont l’humain est le maître. Il s’est mis à mesurer le monde dans la peinture mais aussi dans la réalité. Il le cartographie, il compte le temps avec l’invention de l’horloge mécanique. Il mesure le monde pour le posséder et l’exploiter. Dans Ultima 2 (2024) et dans Centre (2024), Pauline Bazignan subvertit ce surplomb. En ramenant les lointains, le paysage, à l’avant-plan du Christ. En donnant le rôle central au ruisseau dans ses toiles Tempête 6, 8, 9 d’après Giorgione. En reprenant aussi les panneaux de La Bataille de San Romano (1455-1460) de Paolo Uccello pour des versions où les girandoles prennent la place des chevaliers, où l’organique semble prendre le pas sur l’histoire.
Le motif des girandoles, ces éventails en cercle, est, depuis plusieurs années, au centre de la quête picturale de Pauline Bazignan dont l’eau est le médium privilégié. « Dans mon travail, c’est l’eau qui peint », dit-elle. L’eau est incolore et pourtant la peintre la désigne comme l’élément essentiel de sa palette, une substance sans pigment mais qui entraîne toutes les couleurs dans son sillage de formes, de signes et de coulures. Une eau qui donne vie aux tableaux comme elle donne vie au monde. Une eau que Pauline Bazignan replace sur le devant de la scène comme le moment fondateur d’un monde qui vient. Où l’humain tiendra sa place. Juste sa place.
Annabelle Gugnon
*Marcel Duchamp, en 1957, devant la fédération américaine des Arts, Houston, publié sous le titre « Le Processus créatif », l’Échoppe, 1987.
Pauline Bazignan, MOMENTUM
20 avril – 8 juin 2024
Praz-Delavallade, Paris
APRÈS LA TEMPÊTE...
PAULINE BAZIGNAN, VANESSA FANUELE
par Philippe Piguet
De l’envie d’échanger entre elles une peinture parce qu’elles sont amies et qu’elles apprécient réciproquement leur travail est née l’idée de cette exposition. Mais plutôt que de se contenter d’un échange d’œuvres existantes, Pauline Bazignan et Vanessa Fanuele ont décidé de faire de ce simple geste d’amitié l’enjeu d’une aventure créative. Les deux artistes se sont ainsi accordées pour travailler chacune de leur côté à partir d’une œuvre de référence, en l’occurrence La Tempête de Giorgione, et, par la suite, d’échanger l’une des peintures réalisées.
Daté entre 1506 et 1508, conservé à l’Accademia de Venise, le chef-d’œuvre de l’Italien est, on le sait, l’un des tableaux les plus énigmatiques de l’histoire de l’art. Objet de diverses analyses et interprétations, il interroge, il intrigue, et le regard que portent ordinairement sur lui les peintres participe à en accuser le mystère. Il en va ainsi de Pauline Bazignan et de Vanessa Fanuele. Tandis que la première l’appréhende dans un rapport d’immédiateté sensible, la seconde l’aborde davantage de façon conceptuelle. Quand l’une s’en est prise aussitôt à s’intéresser au format de la toile, à sa composition et à sa chromie, l’autre, architecte de formation, s’est appliquée à vouloir en connaître l’histoire et à questionner le sujet du tableau.
Travaillant à plat sur des toiles découpées, quasiment au format de l’original, Pauline Bazignan a opéré en montant chacune de ses peintures par étapes, accordant plus d’intérêt au paysage qu’aux figures, simplement traitées comme des spectres pour en accentuer le caractère d’énigme. Focalisant sur le thème de la tempête, par nature dévastatrice, Vanessa Fanuele quant à elle s’est fixé pour objectif de faire littéralement disparaître les figures dans d’amples et tourmentés flux de peinture. Alors que l’une procède comme par arrachement, l’autre multiplie les voiles, en quête de trouver chacune le geste approprié à leur perception et à leur ressenti respectifs.
Parce que « le luxe de la peinture est de prendre son temps et celui du peintre de lui donner le sien », Pauline Bazignan et Vanessa Fanuele nous convoquent ici à lui consacrer le nôtre, en considérant encore une fois la vitalité pérenne de celle-ci. Que le tableau de Giorgione soit ainsi le prétexte à telle partition prospective en dit long de la pérennité d’un mode de penser qui n’aura jamais fini de nourrir l’esprit.
Philippe Piguet
LA TEMPÊTE, Pauline Bazignan et Vanessa Fanuele
27 mai – 4 juin 2023
progress gallery, Paris
INTÉRIEURS
par Daniel Sibony
J’ai bien aimé les Intérieurs de Pauline Bazignan, ces boules de terre cuite, peintes ou en céramique, qui semblent très extérieures, ce qui suggère qu'il y a eu quelque part un subtil retournement.
C’est qu’elle les produit en vidant l’intérieur d’une orange qu’elle remplit de terre et qu’elle fait cuire pour que l’écorce brûle, d’où ces formes sphériques étrangement peintes ou émaillées. J’ai aimé parce qu'elles ont percuté mon imagination sur le retournement : ici, il a fallu le feu pour que l’extérieur du fruit produise son intérieur. En somme, une forme s’exfolie, se retourne par le feu et montre dehors son dedans. Or, en topologie, un des problèmes passionnant était le retournement de la sphère : comment faire en sorte que l’intérieur devienne l'extérieur ; que si l'extérieur était rouge et l'intérieur bleu, on ne voie finalement que du bleu, que l’intérieur ; que le dedans se retrouve dehors sans déchirure ni pincement ? Cette opération topologique est très complexe, et il a fallu attendre que le mathématicien Stephen Smale en démontre l’existence (en 1958) ; il a obtenu pour cela la médaille Fields, la plus haute récompense en mathématiques, l’équivalent du prix Nobel. Il y a d'ailleurs une vidéo sur Internet qui montre ce mouvement, très difficile à visualiser.
L’artiste, elle, a saisi l'idée ou a été saisie par elle, dans une sorte d'impression corporelle qui a dû la travailler : elle remplace la topologie par le feu. Beaucoup de formes ou de situations fermées peuvent être retournées si l'on trouve le feu, le souffle brûlant qui convient. J’ai été très touché que l'artiste retrouve à l’arrivée des blessures de la surface, des traces de déchirures qu’elle répare comme elle peut, avec de l'émail. Le retournement ne se fait pas sans blessures : mettre au dehors de ce qui est dedans, faire voir l’intérieur, faire qu’il s'expose sans que ce soit un déballage, est une posture vulnérable et nouvelle, rayonnante et risquée. C’est ce qu'exprime le titre Intérieur ; le spectateur ne peut le comprendre qu’en ayant en tête ce fantasme de mise à nu totale, sans limite, qui préside à ces formes passées par l'incendie.
14 mars 2022
Auteur de Fantasmes d’artistes (O. Jacob), Création (Seuil), Cinéma ou réalité ? Entre perception et mémoire (Hermann), Les non-dits d'un conflit (Éditions Intervalles), L'entre-deux sexuel (O. Jacob)
BATAILLE
par René-Julien Praz
À l’instar de l’écrivain face à sa page blanche, la prise de possession de la toile vierge hante tout autant Pauline Bazignan. L’artiste va au combat pour qu’une relation d’intime complicité entre elle et son sujet vive au cœur de ce territoire inviolé. Il s’agit de l’apprivoiser pour lui offrir les contours qui deviendront émotion où se mêle cohésion et indiciblement l’âme de Pauline Bazignan. Au motif récurrent de la corolle symbolisée par la coulure et l’expressionnisme bouillonnant qui envahi l’entièreté de sa toile, elle bataille pour afficher la trace de cette domination qui deviendra au fil de sa pratique un motif à part entière. Ce all-over propre à l’artiste conduit à un enchevêtrement compulsif : dense mais paradoxalement transparent fait de légèreté, chaque tableau devenant un palimpseste de déversements de coulures successives. Peindre, dès lors, consiste pour l’artiste à généraliser les tensions en supprimant toute hiérarchie entre la figure et le fond dans un entrelacs que nous aurions bien du mal à démêler, émancipation de son geste pictural, Pauline Bazigan se libère du carcan où la couleur s’emballe, fluide jusqu’à la coulure qu’elle adopte telle une signature personnelle et moteur esthétique de ses œuvres. ‘‘Plutôt que de quitter le tableau, les coulants luttent à l’intérieur du cadre pour en faire surgir des formes inédites.’’(1) Ainsi, Pauline Bazignan – par volonté ou parfois par accident – fait que la coulure crée diverses poésies plastiques, l’objet devient alors sujet proposant un démenti majeur aux théories classiques de la peinture.
À l’occasion de sa première exposition personnelle à la galerie Praz-Delavallade Paris, Pauline Bazignan nous invite à remonter le temps. L’artiste nous renvoie en 1432 : Paolo di Dono di Paolo, plus connu sous le nom de Paolo Uccello, peintre Florentin de la Première Renaissance, nous narre La Bataille de San Romano, bataille héroïque qui opposa les Siennois aux Florentins. Trois vastes toiles seront nécessaires pour que vive cette épopée que Pauline Bazignan réinterprète dans une étonnante transposition. Y figurent le Condottiere Niccolo da Tolentino, chef Florentin face aux Siennois Bernardino della Ciarda. La bataille est engagée, le bruit des glaives qui s’entrechoquent monte dans cette plaine de San Miniato en pleine Toscane. Jaillissant de toutes parts, les hommes en marche, piques et lances déployées, font face aux fantassins leurs pavois(2) en avant pour se protéger des piques meurtrières. Une première vague s’élance suivie d’une contre-attaque, mêlée chaotique de cavaliers, de lances et de chevaux dont le cheval blanc du Condottiere Florentin fend les troupes adverses. Pauline Bazignan, en chroniqueuse, dépeint dans un désordre pictural singulier cette démesure où chaque acte de peinture se veut ce témoignage où Florence in fine triomphera de Sienne. Épique entreprise où l’artiste dans ses propres ‘‘tableaux-récits’’ passe du clair à l’obscur comme pour manifester par la couleur l’idée de la défaite et de la victoire. Peinture onirique qui indubitablement y gagne en puissance et en conviction, faisant flotter sur cette série de peintures, et les fragiles céramiques qui peuplent cette exposition, un parfum d’extrême liberté. ‘‘L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible.’’(3)
(1) Guillaume Cassegrain, La coulure, histoire(s) de la peinture en mouvement (XIe et XXIe siècles), Hazan, 2015.
(2) Le pavois est un grand bouclier de forme ovale ou quadrangulaire, porté par les fantassins au Moyen Âge.
(3) Paul Klee
Pauline Bazignan, BATAILLE
3 juin – 17 juillet 2021
Praz-Delavallade, Paris
DE MÉMOIRE
par Marie Darrieussecq
Pauline Bazignan agit en créant et crée en agissant. Son corps bouge. Elle danse. Elle habite l’espace. J’envie aux plasticiens leur corps, leur élan, leurs mains. Quand j’écris, seules mes mains bougent. Mes épaules se raidissent, j’oublie de respirer. Pauline semble animée des quatre éléments qu’elle met en oeuvre : l’air, l’eau, le feu, la terre. Ses pieds tiennent le sol à distance, elle semble à la fois ancrée et aérienne. L’eau, elle la fait couler sur ses toiles – c’en est presque alarmant, est-ce que tout va disparaître ? Le feu – elle met le feu à ses sculptures, que fait-elle ?
« Mes tableaux apparaissent avec l’eau, mes sculptures apparaissent grâce au feu. » Cette destructrice est une créatrice. Nos alarmes, elle les apaise. Contempler son travail c’est entrer dans le calme. Un calme venu après on ne sait quoi d’obscur et dangereux, un ravage – mais le calme.
En chaussons qui semblent de danseuse, la ballerine peint. Elle manie les pinceaux dans une chorégraphie de tous les possibles – à deux mains, à pleine brassée, en cercle, en ciseaux, en jets. Peindre c’est d’ordinaire accepter deux dimensions, être « à plat » ; mais Pauline Bazignan, un jour, vit couler la peinture sur une de ses toiles, et cette petite catastrophe de la gravité, elle en fit sa force. Elle en fit sa tige. Elle peint autour d’un premier point, fixe, et de cette tige, droite. Les deux axes furent d’abord, sous ses mains, des mouvements. Comme disait Louise Bourgeois : « Il y a toujours une lutte au finish entre l’artiste et son matériau : parfois cela donne un résultat visible, le plus souvent il n’y a pas de résultat mais on y gagne une expérience. » De mémoire, on voit chez Bazignan ce qui semble être le résultat de multiples expériences et d’essais. On sent aussi chez elle une acceptation de l’invisible ; et même un désir de l’invisible, paradoxalement, pour donner à voir.
On pense à des fleurs mais il y a autre chose… Des étoiles, des météorites… quelque chose qui aurait laissé une trace après une fugace éclosion… explosion… fugace mais pourtant toujours là, sous une autre forme… dans la blancheur et la légèreté… la légèreté de la mémoire… Tout l’inverse d’un devoir, car ce qui est léger n’est pas moins important, ou grave, car c’est d’abord une question de style… Peintre de la gravité à tous les sens du terme, Pauline Bazignan ne nous impose jamais aucune leçon. Elle peint « de mémoire » au sens où elle travaille la mémoire des gestes et des formes : son matériau même en est travaillé. Ce n’est pas la mémoire des archives ou de l’enregistrement automatique, c’est la mémoire humaine et faillible du vécu, ici le vécu de la création. Comme on l’entend dans l’expression « de mémoire » : avec les hasards, les erreurs possibles, le jeu, la nuance. L’oeil nous regarde mais sans menace. Le météore s’abat mais il n’écrase rien, il apporte la vie, comme on le sait en sciences : l’eau vient des météorites, de leur pluie sur la Terre.
Planète tournoyante…. Vie… cycles… coulure… larme et sang… larme de joie et sang de naissance… accidents… ancrage dans les profondeurs… Sculptures de terre liquide, à l’intérieur d’écorces d’orange… Bazignan brûle l’écorce ; alors la sphère, accidentée, rainurée, granuleuse, apparaît en négatif : petites capsules de temps que ces fruits à la fois réduits en cendre et recréés, incertains mais solides… De mémoire, c’est aussi Pompéi : le plâtre a révélé l’envers et donc la silhouette d’êtres disparus, leur gestuelle, leur singularité… Comme par un autre côté du regard, qui donnerait accès à ce qui est perdu. « Seul est nôtre ce que nous avons perdu », disait Borges, aveugle, en se souvenant des couleurs.
Pauline Bazignan semble peindre ce qui resterait d’un tableau… Destruction par l’eau… trace d’une action… souvenir… Ce que nous voyons serait un tableau de mémoire, comme une mémoire de l’eau… où apparaîtrait parfois en dernier la trace de ce qui s’est passé en premier… En ce sens Bazignan est l’héritière d’une tradition déjà longue. Les contemporains de Turner faisaient part de leur stupéfaction en voyant le maître détremper ses toiles avant de peindre, puis les détremper encore après… ou les enduire d’un vernis de sa composition, jusqu’à liquéfier les lignes et flouter encore le flou… Objet de moqueries, Turner fut le pionnier de ces artistes dont descend Bazignan : ceux pour qui il ne suffit pas de peindre, mais qui agissent en peignant, grands aspergeurs à la Pollock, grands frotteurs de toile à la Klein. « Mes tableaux ne sont que les cendres de mon art » disait Yves Klein en 1959. Marguerite Duras, dans les mêmes années, décrivait son livre La Maladie de la mort comme « ce qui resterait après un livre ». Pauline Bazignan, dans cette tradition du tableau qui reste après le tableau, injecte pourtant de la vie dans le risque du désert. Le tellurisme, l’humidité, le poids, la flamme, l’averse, le flot, font corps dans ses toiles et ses sculptures. Si la trace des éléments ravageurs demeure, Bazignan est curieusement dans le don et même dans le plein. Sa blancheur est généreuse, ronde et sensuelle. Ses fleurs irradient. Ses yeux ouvrent. Ses tiges d’apparence fragiles font pourtant monter la sève dans ces tableaux d’abord comme vidés. Il me semble qu’il y a là un geste très contemporain, et peut-être féminin, si l’on accepte le féminin chez l’homme, et le masculin chez la femme. Il y a chez Bazignan la force d’une mythologie intime, qui se passe de mots et passe par tout son corps, dans une danse avec les éléments.
Semaine 24.19
Revue hebdomadaire pour l’art contemporain
n°432, Vendredi 14.06.2019
"DE MÉMOIRE" PAULINE BAZIGNAN, AU FORT SAINT-ANDRÉ
par Marie Gayet
Dans le texte introductif à l’exposition, Philipe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux souligne l’accord profond du lieu et de l’artiste, en préalable à toute présentation d’art contemporain dans un environnement patrimonial. Avec l’exposition « De mémoire » de Pauline Bazignan, présentée au fort Saint-André de Villeneuve-lez-Avignon, il est évident que cet accord profond a eu lieu tant la proposition artistique résonne sensiblement avec l’édifice fortifié. Pour découvrir l’ensemble des œuvres, toutes réalisées pour l’exposition, il faut parcourir le lieu dans son entier, prendre des escaliers de pierre aux marches irrégulières, être attrapé par la lumière découpée d’une meurtrière, traverser le chemin de ronde à la vue panoramique (magnifique !), passer d’une salle voûtée à une autre – à la charpente démesurée –, certaines laissées vides…
La première toile se trouve dans la chapelle, mise en regard des fragments d’une fresque représentant le Christ crucifié. Pour qui connaît les peintures de l’artiste, cette toile annonce un écart dans le travail puisqu’il remarquera à côté de la coulure principale – point de départ, ancrage de la peinture – une deuxième coulure, à moitié effacée. La surprise ira croissant, car, au fur et à mesure du parcours, ce ne sont plus sur les toiles ni une ni deux, mais un crescendo de lignes qui viennent fendre la surface, parfois jaillissant par le haut. Alors qu’on assimile souvent les cercles et les éclats de ses toiles à des fleurs ou à des éclosions végétales, on pense davantage ici à un passage de météorites, à un entrelacs d’éléments en fusion dans un univers plus cosmique.
Mais est-ce si surprenant que cette forteresse datant du Moyen-Âge, chargée d’histoires et de mémoire, ait inspiré l’artiste, quand on sait qu’à ses débuts, ses œuvres étaient consacrées au thème de Saint Georges terrassant le dragon ? Et que le plaisir de la « bataille », elle l’ait retrouvé, de manière décuplée, en réalisant de mémoire le grand format, inspiré par La Bataille de San Romano de Paolo Uccello (circa 1436) ?
Tout étonne dans ce tableau qui clôt l’exposition : le grand format, le fond noir, la vivacité des lignes, la fugacité d’un motif, la puissance charnelle de la peinture. Un vrai tableau d’histoire ! Face auquel la mémoire du visiteur tente de recomposer, elle aussi, ce qu’elle a gardé du célèbre tableau du Louvre.
Autre nouveauté aussi, dans la salle des herses, c’est la première fois que l’artiste présente des vidéos. Deux courtes boucles de matières en mouvement sont directement projetées sur les murs, comme inscrites dans la pierre et la faisant palpiter.
C’est sans doute dans la salle des graffitis que l’exposition entre en écho d’une manière la plus émouvante avec l’histoire du fort. Dans cette salle où les prisonniers et les soldats ont gravé dans le sol des dessins, aux motifs à la fois quotidiens – comme un plat, des cuillères –, ou des signes religieux, des symboles, un cœur, l’artiste est venue déposer sur le sol des sculptures d’agrumes, blanchies après avoir été brûlées de l’intérieur. Sous les vitres qui les protègent autant qu’elles les enferment, ces concrétions carbonisées, qui ont donné leur cœur au feu, sont pour l’artiste « la trace de quelque chose qui a existé mais qui n’est plus ». Traces du passé, mémoires in/visibles, chacune ravivée dans sa fragilité par la présence de l’autre. Au fort Saint-André, l’exposition De mémoire réussit à rendre palpable le sentiment qui, après sa disparition, donne grâce à la vie.
Exposition « De mémoire » Pauline Bazignan,
Fort Saint-André, Montée du fort, Villeneuve-lez-Avignon (30)
Jusqu’au 22 septembre 2019
Artaïs art contemporain, 9 juillet 2019
DÉJÀ LÀ, INCONNU ENCORE
par Evelyne Eybert
Vues d’atelier, un matin de novembre. Un moment d’échange sur l’envers du décor, sur la technique, le processus de création de ce qui est ensuite exposé, offert au regard dans un tout autre contexte. Entre travaux plus anciens et projets futurs s’ouvre une parenthèse, un entre-deux au cours duquel Pauline Bazignan parle de la manière dont elle perçoit l’évolution de son travail. Un inexorable travail de recherche, instinctif, rituel, qui interroge par-delà lui des limites qui s’avèrent plus ténues et poreuses qu’on ne le soupçonnerait de prime abord.
Evelyne Eybert : Pouvez-vous me parler de la genèse des motifs que l’on retrouve dans votre peinture et de votre rapport à ce médium ?
Pauline Bazignan : Il y a une vingtaine d’années, je peignais des Saint Georges terrassant le dragon. J’en ai fait toute une série, assez abstraite. A cette époque j’avais un professeur, Martin Bissière, qui m’a énormément influencée. Le jour où j’ai découvert son travail, je me suis mise à peindre comme lui, des abstractions, très expressionnistes. Puis j’ai peint des personnages qui n’avaient pas de visage. Il y avait la forme extérieure, les cheveux, l’habit, mais le visage était blanc ou d’une seule couleur. J’étais également influencée par Jean-Michel Basquiat, c’était très graphique.
Plus tard, aux Beaux-Arts de Paris, j’étais dans l’atelier et je repeignais vingt fois le même tableau… je n’avais aucune idée. Il faut toujours avoir une idée qui vous tient. Et là, je n’en avais pas. J’ai eu alors envie de peindre des fleurs, des fleurs en train d'éclore, oui, c’était l’idée d’une éclosion. En même temps je trouvais cela complètement stupide. Parce que, déjà, quand vous êtes aux Beaux-Arts et que vous faites de la peinture, vous êtes considéré comme ringard. Mais c’était la seule chose que j’avais envie de faire et malgré les potentielles critiques - on allait aussi dire que c’était des trucs de femme - je me suis dit que j’allais assumer et je l’ai fait : sur papier, je peignais à l’aquarelle et ensuite je versais de l’eau sur ma peinture pour que les pigments se diffusent et que cela produise l’éclosion. Je voulais que la peinture éclose, que la peinture s’ouvre.
EE : Donc il s’agissait de quelque chose de très éphémère ?
PB : Oui, je regardais la fleur s’ouvrir et ensuite le médium fixait sur le papier cet instant qui n’avait finalement duré qu’une micro-fraction de seconde. Mais je n’étais pas du tout satisfaite de ce que j’appelais la « tige ». Un jour, par accident, une coulure s’est faite sur un papier. J’ai vu alors apparaître ma première tige. Depuis, je les fais comme ça, et les appelle « coulure », parfois « tige », même si maintenant ce ne sont plus vraiment des fleurs. Cette coulure initiale traduit l’idée qu’avant de commencer quoi que ce soit, puisque nous sommes dépendants de l’attraction terrestre, il nous faut d’abord nous ancrer, nous poser. Cette ancre qui nous relie les pieds à la terre est capitale, mais elle doit ensuite être oubliée, pour favoriser le lâcher-prise.
EE : Comment présenteriez-vous votre travail ? Comment qualifieriez-vous son évolution ?
PB : Je fais un travail répétitif, rituel, qui évolue au fur et à mesure du temps. Chaque tableau est l’esquisse du suivant. Je vais en avant, je retourne en arrière, je fais des choses que j’avais faites dix ans avant... Certaines idées, qui m’étaient venues et que je n’avais pas développées, reviennent. Étrangement, en ce moment je tends vers le blanc, cela m’était arrivé il y a une quinzaine d’années. C’est assez étrange car ce n’est pas spécialement volontaire.
Pour parler plus concrètement, il y a un tableau dont je n’étais pas vraiment satisfaite lorsque je l’ai fini. Je l’ai peint en blanc, puis j’ai repeint un autre tableau par-dessus. Les deux se confondent et jouent ensemble dans un dialogue entre les passages gris colorés et les couleurs qui n’ont pas été recouvertes. J’aimais bien cette vibration entre ce qui était à l’intérieur, presque caché et ce qui est sorti. Ce jeu entre intérieur et extérieur est une problématique que l'on retrouve dans l’ensemble de mon travail.
J’ai peint un autre tableau dont je n’étais pas satisfaite, que j'ai recouvert de blanc, et il est apparu. Je pensais repeindre par-dessus, comme le premier, mais je me suis arrêtée parce que le tableau était déjà là. Je peins puis, avec un jet haute-pression, j’arrose mes tableaux jusqu’à ce que tous les pigments sortent de la toile ou du papier. Les recouvrir de blanc est une autre manière de les effacer.
EE : Vous parlez d’une peinture rituelle, et pourtant ce n’est jamais le même résultat…
PB : Non bien sûr, ce n’est jamais le même résultat, bien qu’ils se ressemblent tous, c’est indéniable. J’accepte l’accident, l’inconnu, le non contrôlé. Souvent, lorsque je connais le résultat à l’avance, cela ne m’intéresse plus. Je me suis aperçue que lorsque je le recherchais, cet accident, cela donnait des choses qui n’avaient pas d’intérêt. Quand il arrive fortuitement, au bout de nombreuses heures de travail, c’est beaucoup plus intéressant.
En réalité, je travaille en continu et puis il y a des tableaux qu’on pourrait qualifier de charnières, un ou deux tableaux que je trouve bons. Et même si ces tableaux adviennent après beaucoup de travail et après avoir fait beaucoup de tableaux non satisfaisants, je sais que ceux que je trouve bons sont là parce qu’il y a eu tous les autres avant.
EE : Depuis combien de temps êtes-vous dans cet atelier ? Pensez-vous que le lieu où vous travaillez a une influence sur votre inspiration et sur votre travail ?
PB : J’y travaille depuis 2013 et oui, le lieu a une influence. Si l'on veut faire quelque chose on peut le faire dans n’importe quel lieu, mais on peut rechercher à fréquenter un lieu parce qu’on pense qu’il va nous inspirer. En ce moment j’ai très envie de partir en résidence, de voir un autre atelier. Quand je suis arrivée ici je faisais de tous petits formats, des petits papiers, je travaillais sur la table et ne faisais que de la peinture, pas de sculpture et puis c’est devenu plus grand, et maintenant j’ai besoin de plus de place.
EE : Il y a le feu qui entre en jeu maintenant avec la cuisson de vos sculptures.
PB : Oui c’est vrai. Au départ, je ne voulais pas du tout aller vers la sculpture. Mais un jour, en mangeant une orange, je me suis demandé ce qu’il y avait à l’intérieur de cette peau, de la même façon qu’on pourrait se poser la question en regardant le ventre d’une femme enceinte : on se demande ce qu’il y a de l’autre côté. Tous les jours, l’idée me taraudait et j’ai décidé d’en avoir le cœur net. J’ai pris ma peau d’orange que j’ai reconstitué en la collant, j’ai versé du plâtre dedans, j’ai enlevé l’écorce et j’ai obtenu une pièce, à l’époque c’était vraiment tout petit, une boule de plâtre, pleine. Le résultat m’a beaucoup étonnée et intriguée, je ne m’attendais vraiment pas à ça. J’ai eu envie d’en faire d’autres. J’ai d’abord pensé à mouler cette pièce, mais faire des multiples ne m’intéressait pas. Je me suis alors tournée vers la terre, la céramique. J’utilise de la barbotine que je coule directement dans l’écorce, puis je la brûle. Le processus s’est mis en place progressivement, comme pour la peinture.
Je travaille avec de la porcelaine, mais aussi avec du silicone. J’aime faire des expérimentations. J’essaye de faire grossir mes pièces. Je suis venue au silicone par étapes, j’ai d’abord voulu faire une grande sculpture en combinant plusieurs peaux d'orange, mais je considère cette pièce comme ratée. Je connais les possibilités de l’imprimante 3D mais cela ne m’intéresse pas. C’est un ami qui m’a parlé du silicone comme d’un matériau capable de gonfler et d’augmenter en volume. Ce matériau donne un résultat assez similaire à celui de la porcelaine, je me suis d’ailleurs déjà laissée surprendre : un jour en voulant saisir une porcelaine, alors que je m’attendais à quelque chose de dur et froid, j’ai attrapé une pièce qui était molle.
EE : Pour en revenir à la peinture, quelles techniques utilisez-vous ? Quelle est la place du corps, du geste dans votre travail ? Quelle est la place de la réflexion, celle de la spontanéité ?
PB : Je travaille beaucoup sur papier, ou sur toile libre que je tends ensuite sur châssis. D’abord au sol puis je pose mon support à l’envers sur une planche : les bacs permettent de récupérer l’eau qui provient du « nettoyage » effectué avec le jet haute-pression. Le résultat dépend de beaucoup de paramètres, pas seulement du temps qui s’écoule entre les différentes étapes, mais aussi des peintures utilisées, des médiums que je mets dedans, des différentes couleurs qui ne réagissent pas du tout de la même façon, de la chaleur de l’atelier, de son taux d’hygrométrie…
Il y a donc une grande part de hasard. On peut se demander quelle part de hasard reste maîtrisée ou non, parce qu’à force de répéter le processus on sait très bien ce qu’il va se passer. C’est pour ça que je dis que je travaille avec mon inconscient, parce que quelques fois je le laisse un peu décider à ma place. Je peux attendre entre les étapes, ou pas du tout et je ne sais pas pourquoi. En ce qui concerne le choix des couleurs, je regarde dans ma palette les couleurs de la veille, celles qui sont restées et j’en rajoute. Il y a comme une sorte d’aimantation, d’attraction, celles qui sont déjà là en appellent d’autres. Ainsi le tableau précédent est l’esquisse du suivant, parce que certaines couleurs restent et il y a une évolution d’une peinture à l’autre.
Je ne travaille qu’à l’acrylique. Récemment j’ai repris l’huile car je voulais travailler sur une plaque en aluminium et je n’arrivais pas à trouver une peinture qui reste bien fixe sur ce support. Il s’agit d’un tableau qui est accroché avec un clou planté au centre du motif. J’ai appelé cette série Persée, pour souligner le fait qu’ils sont effectivement percés, mais aussi en référence au mythe de Persée. De plus, cette idée du clou me renvoie à mes Saint Georges terrassant le dragon, que je peignais au tout début, car Saint Georges, de sa lance, transperce le Dragon. Pour moi il y a aussi l’idée de considérer la peinture comme une lutte, il faut tuer son dragon, c’est-à-dire se dépasser, aller au-delà de ses limites. Ici on ne voit plus Saint Georges mais simplement sa lance.
Revue Possible. Carte blanche au collectif Empreinte, hiver 2019
L’ÉMANCIPATION DE L’INCERTAIN
par Alain Coulange
La pratique de Pauline Bazignan s’incarne à travers un processus d’effacement et de retrait, une mise en œuvre résolument minimale de l’acte de peindre et de sculpter. Comme si la perspective sinon l’objectif, dès lors que les éléments et le dispositif sont en place, était que l’œuvre se génère elle-même — d’elle-même —, tel un mécanisme de gestation qui s’autoproduirait. L’acte constitutif est différé au terme du processus : de l’eau projetée à la surface des peintures les fait exister in fine ; les sculptures n’apparaissent que lorsque le feu les a brûlées. « Ce n’est pas vraiment moi qui fait les choses », indique Pauline Bazignan (1), davantage concernée par les phénomènes qui affectent les objets (leur apparition, leur disparition) que par les objets eux-mêmes. Elle précise :
« Au moment où s’effectue la disparition, la chose devient présente. » (2) Les œuvres naissent d’une réduction, d’une résurgence de la couleur et de la matière après leur absorption et leur élimination partielle. Subsiste une dépouille, caractéristique de l’utopie ultime du peintre et du sculpteur : susciter une œuvre par la seule force de son effacement et de son retrait. La fabrication se résume à son expression la plus rudimentaire : la surface du papier ou de la toile est couverte sans véritable souci de composition ; l’écorce d’une orange devient concrétion par évidement de la matière et son remplacement. C’est un des enjeux de la modernité : peindre ou sculpter sans affirmer l’omnipotence de la peinture et de la sculpture, imprégner la toile et en révéler la matière afin qu’elle manifeste une présence sans pour autant sur-jouer ce rôle. Peinture et sculpture deviennent traces, pour ainsi dire reproductions d’images de peintures et de sculptures. La pratique confine presque à un degré zéro de l’acte de peindre et de sculpter, comme s’il s’agissait de réaliser des œuvres sans recourir à une opération proprement picturale ou sculpturale. Le tableau et la sculpture sont autant la somme de leurs composants matériels que des éléments (substances et matières) qui leur ont été soustraits. La perfection serait qu’un seul geste, un seul coup de pinceau, une seule action sur la matière fasse exister l’œuvre. Ou encore : Comment ne pas peindre ? Comment ne pas sculpter ? Cette approche paradoxale éclaire différemment les relations entre dessin et couleur, forme et matière : le dessin comme expression estompée de la peinture, la forme comme état incertain de la matière. Sous ce jour, on ne peut pas considérer que les œuvres de Pauline Bazignan sont abstraites ou figuratives. Leur mode de conception, d’apparition, atténue la frontière entre ces notions. « En fait, je n’ai jamais vraiment voulu peindre de fleur, affirme-t-elle : c’était l’idée d’une fleur, plutôt l’idée d’une éclosion. Voir ou regarder éclore. » (3) Le déploiement du dispositif sensible prend volontiers le pas, non l’attente ou le désir d’une représentation. Le motif apparaît une fois qu’il a été pour une part effacé et révélé. Sa présence-absence est une soustraction, une allégorie fantomatique. Les dessins, les peintures, les sculptures sont des événements vraisemblables mais non spectaculaires. Leur effacement est aussi leur renaissance. L’émancipation de l’incertain a ici trouvé sa forme.
À la fin du jour, ENd éditions, mars 2018
(1) L’Atelier A, Arte Creative, 2017
(2) Extraits de Textes(carnets), 2004-2005
(3) Ibid.
PAULINE BAZIGNAN / L'ATELIER A.
par Marianne Derrien
Entre effacement et apparition, des gestes simples et minimaux se répètent sur le papier ou dans l’argile. Tant fragiles que puissantes, des fleurs aux allures de mondes célestes apparaissent et sont la trace de cycles de vie et de mort. Ce dialogue avec les éléments naturels, soit l’eau pour la peinture et le feu pour la sculpture, est un éloge de la transformation et des mutations.
Arte Creative & Adagp, novembre 2017
INTÉRIEUR. HESPÉRIDES
par Laurent Le Bon
Intérieur. Hespérides (2016) est le fruit d’un long processus de recherches au cours duquel Pauline Bazignan s’est attachée à rendre sensible l’invisible, la face cachée des choses. Après avoir épluché l’écorce d’une orange, l’artiste reconstitue avec précaution cette enveloppe organique et l’emplie de terre liquide pour en révéler le vide et les aspérités. L’ensemble est ensuite cuit. La terre et l’écorce fusionnent et de ce feu révélateur naît une série de céramiques. Les moulages d’agrumes évidés deviennent des intérieurs éclos, jouant sur les rapports entre le perceptible et l’imperceptible, l’apparence et l’essence.
Après les fleurs-lignes, ces intérieurs-intérieurs, mâles et femelles, gangues aux précieuses columelles, tracent une nouvelle voie sculpturale dans l’œuvre de cette artiste exigeante. Intérieur semble être le produit d’un happening de l’empreinte.
Domaine de Chaumont sur Loire, janvier 2016
DE SILENCIEUSES NATURES
par Mathias Chivot
Les peintures de Pauline Bazignan suscitent, comme une rémanence optique, les efflorescences hallucinées d’un Redon au travail pour les Panneaux Domecy. C’est pourtant à la force vitale et concentrée d’une entité défaite de ses atours symboliques que l’artiste veut consacrer la surface entière de son œuvre. Dans Intérieur, le principe de la cuisson a créé une vie muette, statufiée et éternellement là, comme la trace fossile d’un processus vital. La combustion a suspendu le destin putrescible du fruit ; la pourriture à laquelle chaque organisme vivant est promis a été stoppée par le feu pour ne plus laisser que les contours pulpeux d’une vie antérieure.
2016, Extrait du texte de présentation de l’exposition Still Lifes {de silencieuses natures}
ART IS HOPE
par Matthieu Lelièvre
La répétition, l’introspection, le rituel... Le travail de Pauline Bazignan a, depuis ses études à l’École des Beaux-Arts de Paris, pris une dimension presque spirituelle en se concentrant sur le geste incarné dans des cercles concentriques, une façon pour elle de prendre le temps de s’immerger de façon hypnotique dans la matière. La fleur est un thème récurrent pour l’artiste mais il ne s’agit pas d’une réduction narrative ou symbolique à la fleur en tant que telle mais d’une concentration sur une manifestation frappante de simplicité et de puissance. Le geste comme trace-présence dans le monde vient s’incarner dans la rugosité du papier. Il ne s’agit pas d’une poésie bucolique mais d’une force unissant une double incarnation physique et terrestre ainsi qu’aérienne et spirituelle. John Cage se demandait «s’il (existe) plus grand héros que la moindre plante qui pousse ? ». De la même façon qu’une graine contient la plante, le motif de la fleur chez Pauline Bazignan semble pouvoir contenir le monde.
D’une façon un peu similaire, l’orange dénudée de son écorce frappe par sa force paradoxale. Cette fausse fragilité est un autre équilibre caractéristique de l’œuvre de Pauline Bazignan. Passée à l’épreuve du feu, la sculpture apparaît comme une scorie du monde pour en rendre possible la renaissance.
Catalogue ART IS HOPE 2015
PLANÈTES
entretien avec Mickaël Faure
Ligne
La ligne, c’est l’élément premier : je commence par faire une tâche, un petit point au centre haut du tableau, et après cela devient une ligne. C’est le tout début. La feuille est posée au sol, je suis accroupie et une fois que j’ai fait cette tâche, je me relève et relève la feuille, le tableau. C’est là que le point devient une ligne : le point coloré, à la fois peinture et eau, coule à la verticale jusqu’en bas. Ce n’est pas moi qui trace la ligne, c’est l’effet de la pesanteur. C’est l’une des premières choses auxquelles je pense en faisant cela : si l’on tient debout sur la terre, c’est grâce à ça, à la gravité ; et mon tableau se peint comme cela au début.
Je vois la ligne comme quelque chose qui va porter ce qui vient après. Aujourd’hui, en réalité, je tourne autour du point. Je commence par le centre, tourne autour du point et fais comme des cercles de plus en plus éloignés du point. Auparavant, au lieu d’être des cercles et des spirales, c’était des formes qui partaient du point et montaient à la verticale. D’abord des pétales puis des flammes, puis des organes (cœur, poumons). Maintenant, c’est quelque chose qui tourne (cellules, planètes ou œil ?)
Conception
D’abord je suis partie de la fleur, tout comme pour les sculptures je pars d’un fruit, de l’orange. J’aime bien effacer cette idée, mais en même temps je ne peux nier qu’au début, c’était cela. En fait, je n’ai jamais vraiment voulu peindre de fleur : c’était l’idée d’une fleur, plutôt l’idée d’une éclosion. Voir ou regarder éclore.
Lorsque je peins, c’est comme si je voulais faire venir quelque chose. Quand je choisis les couleurs, par exemple, il y a encore un phénomène d’attraction, quelque chose que j’essaie d’attirer, de sortir, de mettre au dehors. De faire émerger. C’est comme si je voulais concrétiser cette idée pour qu’elle existe vraiment.
Composition
Je ne compose pas réellement. C’est vrai que, souvent, je choisis le point d’où je pars : un peu plus haut ou un peu plus bas. J’ai une feuille blanche et je me demande où je vais poser ma première goutte : c’est quelque chose qui se passe à ce moment là… Avant, je me disais : il n’y a que du hasard. En réalité, je me rends compte qu’il n’y a pas vraiment de hasard… Ou plutôt : il y a toujours un mélange entre le hasard et une volonté.
Papier
C’est vrai qu’il y a une relation totale entre le papier et moi : il y a une écoute, un dialogue, quelque chose entre lui et moi, tout le temps.
Feu/Eau
Il y a l’eau et le feu. Quand je peins, j’utilise de l’eau. Pour mes céramiques, j’utilise aussi de l’eau, mais ça passe par le feu. C’est ce qui révèle, finalement, au sens photographique – le bain révélateur qui fait apparaître l’image : dans la peinture, c’est l’eau ; dans la sculpture, c’est le feu.
Rien/Vide
Au départ il n’y a rien. Après : je peins. Et ensuite j’enlève avec de l’eau, je retire, je fais le vide. Je retire pour voir apparaître mon tableau. Il apparaît une fois que j’ai tout enlevé. Je conçois le vide comme quelque chose d’un peu absorbant. Il y a une forme de tension dans le vide, qui n’est pas vraiment dans le rien, une forme d’absorption. Le rien, lui, a quelque chose d’effrayant, mais qui peut aussi donner une impulsion. C’est comme un signal d’attention.
Tourner/Oscillation/Planète
D’abord il y a le point, ensuite la ligne, puis je peins des cercles et alors je tourne, je me sers de tout mon bras ou même de tout mon être, comme si j’essayais de faire passer une impulsion et voulais la transmettre au papier. C’est vrai que cette forme ronde fait penser à une planète : il y a tout un système, soit de planètes qui tournent entre elles ou autour du soleil, soit de planètes qui tournent sur elles-mêmes.
Entre la corolle du début et la forme que je peins aujourd’hui, ce n’est plus tout à fait la même idée : il n’y a plus rien de la fleur... C’est plutôt une oscillation tellurique – une planète, oui, ou une cellule : une chose extrêmement primitive ou primaire, originelle. L’oscillation est comme un tremblement, et ce tremblement est comme le tout petit tremblement du tout petit début, quand ça commence un peu à bouger, c’est comme le tout début de quelque chose. Le tout début de quelque chose de la vie.
Répétition/Mystère
J’arrive à mon atelier, je me mets au travail et, enfin, j’ai le sentiment de faire quelque chose. Juste faire quelque chose, encore et encore, pour que ce soit le mieux possible. Chaque jour un entraînement ou une répétition – comme en musique. Je ne fais que répéter. Non pour atteindre une perfection mais pour essayer de comprendre. Je fais toujours les mêmes gestes. Comme s’il y avait quelque chose qui se cachait derrière tout cela, que je n’ai pas encore vu. Comme si j’essayais de percer une sorte de mystère.
Pauline Bazignan, PLANÈTES
20 mars – 9 mai 2015
Galerie Pixi Marie Victoire Poliakoff
PAULINE BAZIGNAN
par Augustin Besnier
En art, la répétition tend vers deux directions opposées. La première, extensive, vise la prolifération et confine à la formule. La seconde, intensive, relève de l’introspection et touche au rituel. De ces voies, Pauline Bazignan a suivi la seconde.
Son intérêt pour la fleur n’est pas né du hasard : au terme de ses premières années d’école d’art, le sentiment de faire « n’importe quoi » finit par la gagner et la décide à recentrer sa pratique sur un sujet on ne peut plus élémentaire, et donc des plus essentiels, comme l’ascète se discipline pour parfaire sa pensée.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette impression de faire « n’importe quoi » en art. Ici, elle a surtout conduit l’artiste à passer d’indomptables étalages de couleurs à une série de disques monochromes : retour à l’essentiel, astres ou atomes, qui pouvaient être tout sauf n’importe quoi.
De ces sortes de graines naquirent les fleurs que l’on voit là, serait-on tenté de dire. En réalité, celles-ci apparaissaient dans des toiles antérieures, mais y donnaient surtout à voir une pesanteur, en laissant tomber à terre leurs semences. Les fleurs que l’artiste allait peindre à présent se délesteraient plutôt de ce poids narratif propre à tout motif, pour ne faire éclore que la peinture même.
Il n’est pas étonnant que ce fût le travail de la tige qui posa le plus problème : de ces problèmes que les peintres se sont toujours posés avec une gravité déconcertante et qui ont souvent fini par révolutionner leur art. La fleur, de ce point de vue, fut la pomme de Cézanne de Pauline Bazignan.
Après maints essais – de l’utilisation de pochoirs à l’application de vraies tiges sur la toile –, une coulure accidentelle fut révélatrice. Pas de pinceau ni de touche, juste une goutte de peinture traçant sa propre voie : c’est la nature qui ordonne, et si la pesanteur s’y retrouve, elle peint désormais là où elle était peinte.
C’est alors que le motif devient moteur, que la peinture troque son but – comme celui de réussir à représenter telle fleur dans son vase – contre une raison, généralement inexplicable. Comme d’autres escaladent les montagnes uniquement « parce qu’elles sont là », il fallait gravir cette verticalité stupéfiante, quitte à recommencer mille fois avant de savoir pourquoi.
Nul artiste ayant une telle raison de peindre ne saurait se répéter. La goutte de peinture coulera jusqu’à la fin de ce monde, comme la pomme – celle de Newton cette fois – finira toujours par tomber au sol. Il faut d’ailleurs imaginer Pauline Bazignan tenir dans sa main une orange non pelée et se confronter au mystère de sa chair invisible. Si elle n’en déduisit aucune loi physique, elle en fit une série sans fin de moulages d’écorces évidées, comme un besoin de percer le mystère chaque fois qu’il se présente. Faire le vide pour faire éclore porterait donc aussi bien ses fruits en art qu’en méditation, les œuvres de Pauline Bazignan sachant donner à la contemplation une raison d’être qu’aucune formule ne saurait comprendre.
Catalogue 59è salon de Montrouge, 2014
À FLEUR DE TOILE
par Annabelle Gugnon
L'horizon de Pauline Bazignan est vertical. Elle a, un jour, désorienté la ligne du temps pour la soustraire au destin et l'amarrer ailleurs, entre les forces de la terre et les aspirations de l'azur. En tension entre ces deux pôles : une fleur. Jamais la même mais toujours fleur. Les pigments se concentrent au milieu de la toile brute laissée à sa moire d'origine et ici, comme dans la peinture chinoise, les contours des couleurs révèlent le vide.
« Au début, il y a une fleur [...] Mais après, ce n'est plus cette fleur qui m'intéresse. Alors je l'efface en l'arrosant, en la frottant. [...] Il n'y a presque plus rien sur la toile. C'est ce presque rien qui m'occupe, c'est presque rien, c'est tellement rien que parfois ça me fait peur », note Pauline Bazignan dans ses Carnets. Cependant, après une lente transformation, le tableau apparaît soudainement, la surprend et c'est alors que le rien peut s'apaiser et devenir du vide : la menace de l'effacement fait place à la possibilité de la présence, une densité de vie révélée par l'acte même de peindre. « Les tableaux sont là, malgré moi », témoigne l'artiste.
Des tableaux toujours lestés par la coulure de la tige, un sillon qui cherche à s'ancrer le plus profondément possible dans le sol : « Je trouve que c'est miraculeux, ça coule et ça fait une tige. Ça nous rappelle qu'on est debout. » La tige s'apparente à une colonne vertébrale, celle qui permet à la corolle d'ouvrir ses pétales dans une éclosion jubilatoire. Une explosion qui n'est pas sans rappeler les libérations orgastiques de Cy Twombly. Matières, tensions, mais surtout énergie. Pétales de larmes ou pétales de joie, peu importe ; seule compte l'issue et il y est question de vie et de mort, de peindre pour être au plus près possible de l'existence, pour en toucher la profondeur et la douceur. Pauline Bazignan aime d'ailleurs citer le poème de Baudelaire, “l'Horloge” :
« Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi. »
2005
Pauline Bazignan est née en 1974 à Paris.
Diplômée de l'Ensba, elle a fréquenté l'atelier de Dominique Gauthier.
Elle vit et travaille à Paris.
L’escalier, CulturesFrance, Paris, 2007
TEXTES (CARNETS)
par Pauline Bazignan (Extraits)
La fleur, c’est très difficile la fleur. Au début, je les faisais de mémoire ou d’imagination sur du papier très mouillé. Je laissais peu de place à la tige, ce qui m’intéressait était la fleur en fait le dessin de la fleur. Je travaillais sur une surface mouillée, brillante comme la surface d’un lac seul le pinceau et la peinture qu’il déposait venaient troubler ce calme.
La question était de savoir comment dessiner une fleur. Puis est venue la question de la taille. Je voulais voir la fleur pousser grandir, éclore alors j’ai changé de format et changé de support. J’ai pris une toile en coton blanc trop fine.
- Interroge la peinture et l’art
Pourquoi peindre encore aujourd’hui ?
donc pourquoi peindre quelque chose qui ressemble à des fleurs
comment peut-on
Se référer au passé peinture de bonne femme.
Peindre aujourd’hui pour demain.
C’est osé
Paradoxal ??
S’exposer à des critiques
Besoin d’immédiateté
instantanéité
problème du temps
(tige qui coule)
J’avais un problème au début pour faire la tige. Je ne voulais pas la faire méticuleusement ni avec une règle je voulais qu’elle vienne tout de suite d’elle-même été 2003 alors que je travaillais j’ai fait une tâche qui a coulé. ma première tige est apparue. toute seule. dans son évidence et sa simplicitéelle évoque aussi beaucoup de choses de l’histoire de la peinture la coulure, dripping Pollock, bad painting etc. et aussi la liquidité le côté aqueux aquatique.
Présenter un tout petit tableau dans l’immensité.
Comme une trace d’un passage. Une absence et une présence à la fois
et peut-être pourquoi pas semer des tableaux.
Comme la trace d’une présence et d’une absence à la fois.
quelque chose de muet qui en dit long
Tableaux qui s’effacent qui disparaissent
antagoniste ?
le doute
est-ce que dans le fait de peindre « des fleurs » il n’y a pas l’acceptation (ou le devoir d’acceptation) que tout a déjà été dit (il ne faut pas essayer de faire du « nouveau »)
un fantôme
un spectre
le vide
l’anéantissement
La fleur renferme un mystère et une fragilité
une vulnérabilité
C’était quelque chose comme une urgence
Impossibilité de faire autrement.
Au moment où s’effectue la disparition
La chose devient présente
Être là
Être présent
Ne rien dire
Je dirai : le silence
Être là et ne pas être là
Pourquoi je n’arrive pas à dire les choses ?
Pourquoi je n’arrive pas à les convertir en mots ?
Tout est emprunt de doute
L’apparition
elle a lieu ou non.
Le tableau n’est pas à jeter si elle n’a pas lieu
parce qu’elle peut arriver bien plus tard
sans qu’on s’y attende.
pourquoi je peins des fleurs ? - Voir mourir un enfant.
pourquoi, quand j’ai peint la fleur, je mets de l’eau dessus ?
- Voir mourir son enfant.
être dans l’eau
2004-2005
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le silence
terre ciel eau feu
l’air
le silence et l’air
jeu de marelle ?
(quatre éléments
de la terre vers le ciel
sauter, sauter
retourner, sauter)
trace à la craie ; tout disparaît
avec la pluie, le vent et le soleil
sauter à cloche-pied
tomber peut-être
pas grand-chose à dire
être là et simplement exister
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Coulure
de l’eau de la couleur
un long cheminement
patience patience
rayonnement rond
tourner autour, couler
mouiller, arroser, couler
laisser sécher
Enflammer brûler brûler
laisser cuire
chauffer brûler
et sortir immaculé
Blanc goutte coule
poser rond
petit grand rayonner.
La répétition
tout simplement
faire
Les jours se ressemblent
un rituel ? Non
se concentrer
être soi-même
ne pas mentir
Chaque expérience est unique
pas après pas
les obsédés
les possédés
une seule chose
octobre 2010
UN SIGNAL D'ATTENTION
Pauline Bazignan présente jusqu’au 30 mai à la galerie Pixi à Paris, Planètes, une exposition de peinture sur papier et de sculpture en céramique.
Une impression de vide et de calme. C’est ce que j’ai ressenti les premiers instants dans les murs de la galerie, entourée par les “fleurs” de Pauline Bazignan.
Les œuvres sont épurées, répétitives, de couleurs délavées, d’une composition simple et symétrique. Loin de la narration, ces œuvres plus proches de l’abstraction, placent le spectateur dans une intemporalité, une contemplation.
Dans un deuxième temps, je finis par observer une structure. La peinture nait toujours du même événement. De la peinture qui coule du même point, des cercles concentriques.
La vérité est que l’on a en face de nous le résultat d’une performance que Pauline accomplit dans son atelier. Une performance qui demande une posture physique, une temporalité particulière, une improvisation et une relation forte avec la matière, le papier, l’eau, la couleur, et avec son environnement, l’espace de son atelier. Une performance tenue secrète si l’on n’est pas invité par Pauline à la voir travailler, ce qui est plus que rare.
Pourtant, selon moi, voir cette performance décuplerait la force et la compréhension que le spectateur pourrait avoir de l’œuvre. Il ne se contenterait pas seulement de saisir le processus de création de l’œuvre, il ferait corps avec elle. En accompagnant la concentration, la respiration, le silence et le jeu de Pauline maniant la matière et les forces de l’univers.
Est-ce que je vais trop loin en disant cela ? Non et vous allez comprendre pourquoi.
Planètes, l’exposition porte bien son nom. L’origine, le fondement des peintures de Pauline est la gravité. Pauline l’explique elle-même dans une interview donnée au commissaire d’exposition Mickael Faure : ” Je commence par faire une tâche, un petit point au centre haut du tableau, et après cela devient une ligne. C’est le tout début. La feuille est posée au sol, je suis accroupie et une fois que j’ai fait cette tâche, je me relève et relève la feuille, le tableau. C’est là que le point devient une ligne : le point coloré, à la fois peinture et eau, coule à la verticale jusqu’en bas. Ce n’est pas moi qui trace la ligne, c’est l’effet de la pesanteur. C’est l’une des premières choses auxquelles je pense en faisant cela : si l’on tient debout sur la terre, c’est grâce à ça, à la gravité ; et mon tableau se peint comme cela au début.”
Ensuite, elle tourne autour de ce point-ligne, comme les “planètes” autour du soleil, les électrons autour du noyau de l’atome, les galaxies sur elles-mêmes.
Il est important de souligner que cette première ligne provoquée par la gravité n’est pas juste un élément pictural mais qu’elle est le fondement, l’axe, qu’elle est l’œuvre toute entière.
Si ensuite, on s’est intéressé à la physique quantique et notamment à la théorie des cordes, on comprend à quel point Pauline a touché au cœur de notre essence et au mystère de notre monde. En plaçant la gravité comme structure de sa peinture, elle se relie à l’univers et répond présente à une réalité qui nous constitue mais qu’on ne voit pas, qu’on submerge de nos préoccupations de tous les jours, qui tiennent de notre survie et de notre place dans la société.
Comme le dit Pauline la gravité est ce qui nous maintient sur terre, ce qui fait tourner les planètes, ce qui tient l’univers mais ce qui devrait aussi provoquer son effondrement sur lui-même. Le mystère est : pourquoi ce n’est pas le cas, pourquoi le point est une ligne ?
Dalila Dalléas Bouzar
Planètes
21 mars > 30 mai 2015, GALERIE PIXI – MARIE VICTOIRE POLIAKOFF